Le bilinguisme en question

   Être bilingue ou ne pas être bilingue. Ce n’est pas vraiment une question. On l’est où on ne l’est pas. En Ontario, si vous parlez couramment français et anglais, vous êtes le roi du pétrole. Le monde du travail s’ouvre à vous avec les bras grand ouverts. De nombreuses compagnies gouvernementales et privées sont à la recherche de candidats sachant parler les deux langues, pour de nombreuses raisons, les principales étant que le gouvernement se doit de proposer des services dans les deux langues et que beaucoup de compagnies font du commerce avec le Québec, province voisine et francophone. 

   Suis-je bilingue ? C’est une vaste question. Après avoir étudié l’anglais pendant douze ans (du CM2 à la première année de master), après avoir vécu un an en Angleterre, deux ans aux États-Unis et un an au Canada, après avoir étudié et travaillé dans cette langue, après avoir lu, traduit, enseigné l’anglais, après être allée aux urgences, chez le médecin, chez le gynéco, chez le coiffeur, avoir contracté mes abonnements d’eau, d’électricité et de téléphone en anglais (sans avoir trop payé), après avoir entretenu des amitiés, téléphoné pour mon travail ou pour mes activités personnelles, écrit des emails en anglais, après avoir occupé un poste bilingue en Ontario (sans m’être fait virer ou quoi que ce soit, ce fut un succès), après avoir écouté des podcasts en anglais et regardé des séries et films sans sous-titres, après tout ça, et alors que je vis en anglais au quotidien, tout simplement, je ne me sens toujours pas bilingue.

   Quand j’entends M. parler anglais, au téléphone ou dans la vraie vie, je ne peux m’empêcher d’être surprise de son accent français. À chaque fois. Si je ne le connaissais pas, je me dirais que clairement, si ce mec ne vient pas de France je ne m’appelle plus Ernestine. Il fait aussi des fautes de grammaire, se trompe parfois dans le vocabulaire, et pourtant… Pourtant je pense qu’il est meilleur que moi. Parce qu’il n’a pas peur. Il parle. Quoi qu’il arrive son message passe et les gens le comprennent.

   Il y a très peu de personnes que je ne comprends pas et aucune situation où je me retrouve bloquée par manque de compréhension. Je comprends tout, sauf les accents très prononcés ou ceux que j’entends pour la première fois. Mon problème, c’est que je me décompose totalement si la conversation ne va pas exactement comme je l’ai prévue, c’est-à-dire parfaitement. Si une personne me demande de répéter ce que je viens de dire, même si c’est simplement qu’elle n’a pas entendu, c’est terminé pour moi. Je suis incapable de rester calme et de répéter avec assurance, ce qui à la base est une phrase correcte, mais qui a dû surprendre mon interlocuteur par mon accent ou ma petite voix. Oui j’ai une petite voix. Donc quand j’essaie de répéter, ce sont en fait des mots clés qui sortent de ma bouche de façon saccadée. Imaginons que je cherche du coton à la pharmacie. Je connais au moins trois façons différentes de demander où se trouve le coton. Et ça vient facilement là, comme ça, à froid. Hé bien si l’employé me demande de répéter ma question, je vais sortir des mots clés comme « cotton…. where… ». Le ridicule total. 

   C’est une question de confiance en soi. La panique fait partie de ma personnalité, pas de mes (in)compétences en anglais. Quant à l’accent, c’est quelque chose que j’aurai toute ma vie, sauf si je décide de le travailler comme font les acteurs. M. utilise son accent pour travailler. Cela lui donne un point d’accroche avec sa clientèle. Si en plus ils adorent la France, ou ont étudié le français au lycée (la phrase que nous entendons le plus « j’ai étudié un peu le français au lycée mais j’ai tout oublié… bonjour !… Merci ! »), c’est bingo pour lui. 

   Je me souviens qu’à l’université, en master, une étudiante de ma promotion revenait d’un an en Australie. Elle criait sur tous les toits qu’elle était désormais bilingue, qu’elle avait les deux langues maintenant. Devant nous, devant nos professeurs. C’est ainsi qu’un jour, alors que nous lisions un auteur anglophone (je n’ai aucun souvenir de qui c’était à présent), une de mes professeurs lui a demandé de faire la lecture en anglais, « pour que tout le monde puisse apprécier votre bilinguisme » avait-elle ajouté, sarcastique. Son accent français était à couper au couteau et sa langue fourchait tous les deux mots. Pour moi, elle n’était pas du tout bilingue. Pour elle, si. Et je pense que le revendiquer l’a aidée, puisqu’elle est maintenant professeur d’université dans un pays anglophone. Comme quoi la confiance en soi et l’amour propre mènent loin. 


   J’ai donc décidé d’être bilingue. De le revendiquer et d’arrêter de tergiverser. Et vous, vous en êtes où avec l’anglais ?

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