Chicago blues 3

   Dans la comparaison que j'ai commencée il y a quelques articles en arrière, ici et , entre les États-Unis et le Canada, et plus concrètement entre Chicago et Toronto, voilà le dernier volet du triptyque. Je vais parler du Canada, et même si à première vue, comme ça, la relation entre cet article et son titre n'est pas évidente, je vais faire des parallèles avec Chicago. 

Ce que je préfère au Canada, par rapport aux États-Unis

   Il est important d'expliquer qu'au Canada, il y a une grande différence entre les provinces. Ça m'a beaucoup surprise. Passer du Québec à l'Ontario a été comme changer de pays. On a dû changer de permis de conduire, d'assurance voiture et de plaques minéralogiques. Les enseignes commerciales sont différentes, la nourriture est différente, les services aux nouveaux arrivants, les aides sociales (notamment les services de santé auxquels nous avons accès - vive le Canada), le système scolaire, le salaire minimum, tout ça est différent, car géré au niveau provincial. Aux États-Unis, même si nous n'avons habité que dans un seul état, nous avons beaucoup visité le Wisconsin et le Michigan (états voisins de l'Illinois) sans remarquer une grande différence. Mais bon, nous n'y avons pas emménagé non plus. Peut-être qu'alors nous aurions remarqué plus de différences, mais en tous cas, les enseignes de magasins et de restaurants étaient les mêmes. 

   Tout ça pour dire que la première chose que je préfère au Canada, c'est la nourriture, mais seulement au Québec. Il y est très facile de manger des produits français, car les lois sur l'importation ont changé il y a peu et même des fromages non-pasteurisés passent la frontière... Ce qui n'est malheureusement pas le cas en Ontario. Bien sûr nous n'avons pas mangé "que" français au Québec. Les producteurs locaux foisonnent et les marchés sont très populaires. D'une façon générale, la culture culinaire se rapproche beaucoup plus de l'Europe que dans le reste de l'Amérique du nord. Et c'était très agréable. J'allais régulièrement "faire mon épicerie" (= faire les courses au Québec) chez le petit fromager du coin, le marchand de fruits et légumes bio et à la boucherie. Ces types de magasins n'existaient malheureusement pas autour de chez moi à Chicago. 

   Après notre emménagement en Ontario, ça a un peu changé. Toronto est une grande ville et ressemble plus à une ville américaine que québécoise. Nous nous sommes à nouveau retrouvés à faire nos courses dans de grands hypermarchés où le rayon fromage comprend tout une gamme de cheddar et de la mozzarella que même un italien ne reconnaitrait pas. Fait amusant, pourtant, le supermarché près de chez nous vend du Bresse Bleu, ce petit fromage rond et persillé qui vient de mon département, en France. Je ne sais plus combien ce fromage coûte là-bas, mais ici il est à 6 dollars pour 140 grammes. Autant dire que je n'en achète pas chaque semaine, mais quand je cède, c'est la fête dans mes papilles. 

   Ce que je préfère en Ontario, c'est la diversité. Des gens du monde entier émigrent dans cette province, en particulier à Toronto, et se mélangent sans (trop de) difficultés. Pour moi, un des premiers effets positifs de ce mélange au quotidien, c'est que tout le monde parle anglais avec un accent différent et que tout le monde s'en fout. Ça peut paraître étrange comme remarque, mais dans ma vie quotidienne et professionnelle, ça m'a rendue beaucoup plus à l'aise. Aux États-Unis je devais toujours expliquer d'où je venais après deux ou trois mots. C'était en quelque sorte un point d'entrée dans une conversation, j'en conviens, mais je sortais plus du lot qu'au Canada. À Toronto, très peu de personnes me demandent d'où je viens, ni ne remarquent vraiment mon accent. Ou alors j'ai droit à cette question : « Are you French Canadian or French from France ? » que l'on pourrait traduire par « Est-ce que tu viens du Québec ou de France ? ». Car n'oublions pas qu'ici tout est traduit en français, que les annonces (dans les transports, les gares, les lieux publics) sont aussi faites en français et que la population est clairement exposée à cette langue et à son accent, beaucoup plus qu'aux États-Unis. Peut-être aussi que tout simplement, les gens devinent que ma langue maternelle est le français et n'ont pas besoin de poser la question. Il est intéressant de remarquer que dans la politique d'entreprise de mon premier emploi en Ontario, il était clairement spécifié dans le paragraphe "discriminations" que personne ne doit être discriminé par son accent. Ça paraît évident, mais c'est toujours bien de le rappeler. 
   Petite remarque, comme ça. Dans mon quartier et dans la ville de Toronto, des personnes de toutes confessions cohabitent, travaillent et fréquentent les écoles, restaurants, lieux publics, lieux de divertissement, sans aucune contrainte. C'est à dire qu'une femme a le droit de porter un voile même si elle travaille dans une école, dans un magasin de vêtement, dans un restaurant ou autre. Je ne voudrais pas m'avancer quant aux institutions publiques, mais je suis pratiquement sûre qu'il n'y a aucune restriction. Tout ça pour dire que d'ici, les actualités françaises sur le port du voile me font honte.  

   Il y a aussi plus de nature dans Toronto que dans Chicago. Même si j'habite loin du centre-ville, j'habite dans la limite de la ville, et juste à côté de la grande tour dans laquelle je vis, il y a un immense parc qui conduit jusqu'au lac, situé à plusieurs kilomètres. Dans ce parc, il m'est arrivé à deux reprises de voir des biches me couper la route en pleine journée. C'est juste magnifique. La nature est aussi très proche de la ville, trois heures de voiture suffisent à se rendre dans le territoire des ours noirs, le Parc Algonquin.

Une biche vue dans le parc près de chez moi


Chemin et parc qui mène jusqu'au lac



L'automne est arrivé


   Bien sûr au Canada, il y a le système de santé. Aux États-Unis, j'ai été couverte pendant deux ans par une assurance voyage qui ne me remboursait qu'en cas d'urgence extrême. Pas de visite de contrôle chez le médecin, le dentiste, l'ophtalmologue ou le gynécologue pendant deux ans. Pas de contraception remboursée, pas de couverture en cas de grossesse, et un montant de 2 000 dollars à débourser soi-même avant une prise en charge de l'assurance en cas d'urgence. Et encore, il fallait que cette urgence ne soit pas causée par un sport extrême, ou tout autre situation où je m'étais volontairement "mise en danger". Allez définir ça... 

   Au Canada, à partir du moment où vous (ou votre conjoint) travaillez à plein temps et pour au moins six mois consécutifs dans la même province, vous avez droit à une couverture maladie universelle. Comme en France, il y a une période de carence de trois mois à votre arrivée, pendant laquelle il vaut mieux prévoir une assurance privée. Après ça, la couverture maladie provinciale couvre tous vos rendez-vous médicaux, vos urgences et vos rendez-vous chez des spécialistes si votre médecin de famille vous réfère. Par contre, cette couverture universelle ne rembourse pas les médicaments ni les rendez-vous chez le dentiste ou l'ophtalmo. Un système de "mutuelle" existe, le plus souvent payé par l'employeur, qui couvre ces situations. 
C'est donc une différence majeure et importante. Bizarrement, depuis notre arrivée au Canada et après deux ans aux États-Unis sans tomber malade, ni sans aucun problème de santé, nous n'arrêtons pas de tomber malade. Nous avons dû plusieurs fois nous rendre aux urgences. C'est comme si notre corps s'était retenu pendant deux ans et se relâchait maintenant qu'il pouvait... (Je connais presque tous les médecins urgentiste du Humber River Hospital, si quelqu'un a besoin d'informations...)

   Ce qui me plaît énormément au Canada, c'est l'ouverture aux personnes LGBTQ+ et l'accessibilité pour les personnes vivant avec un handicap, physique ou mental. J'ai hésité à mettre ce point, car peut-être que c'est comme ça partout maintenant, et que je l'ai juste découvert ici car c'est là que je vis, mais quand même. Dans chaque espace public où je me rends, tout est accessible. Il y a des rampes, il y a des ascenseurs et il y a même des personnes pour vous assister. Ce qui est super, je trouve, c'est que les handicaps qui ne se voient pas physiquement sont aussi pris en charge. Par exemple, vous pouvez faire vos courses dans un supermarché "sensory-friendly", c'est-à-dire que pendant deux heures chaque semaine, le supermarché va couper la musique, réduire l'intensité des lumières et tout le personnel va respecter calme et silence. Je trouve ça absolument génial ! Ça existe aussi pour le cinéma, où pendant certaines séances, les lumières vont rester allumées et le volume sonore sera baissé.
   Concernant les personnes LGBTQ+, déjà la gay-pride de Toronto (ou "semaine de la fierté" comme ils disent en français-canadien) est une des plus importantes du pays. Ensuite, un détail qui m'a rendue heureuse est que les toilettes publiques sont souvent gender-free, c'est à dire que les hommes et les femmes ne sont pas séparés. (Après tout, qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'une femme, right ?) Et si ce n'est pas le cas, il y a souvent un petit texte qui spécifie que quiconque s'identifie au genre féminin peut utiliser les toilettes pour femmes. Idem pour les hommes. Je trouve ça tellement inclusif et génial. Chaque individu est l'unique maître de son identification. Ensuite je ne peux pas vous dire pourquoi, mais c'est une vibe, une sensation que j'ai que tout le monde peut parler de sa sexualité et de son conjoint de façon beaucoup plus ouverte qu'en France. Surtout les générations plus agées, disons autour de la cinquantaine, sont très ouvertes par rapport à ça et en parlent très naturellement, sans aucune différence. Ça devrait toujours être le cas évidemment, mais parfois la parole n'est pas aussi libérée, ou alors l'homosexualité devient une façon d'identifier une personne et de la cataloguer avant de discuter de tout autre caractéristique. Ici, non. Et c'est génial. 

   Une autre chose merveilleuse, ce sont les politiques sans parfum. De plus en plus, dans les lieux publiques et les lieux de travail, il est interdit de porter du parfum ou tout autre produit de toilette qui aurait une odeur trop forte. Mais oui ! Je me souviens encore de ces matins où je prenais le bus scolaire et que l'odeur vanille du déodorant Ushuaïa (je suis sûre que vous voyez) me donnait la migraine pendant des heures ! D'une façon générale, je trouve que mettre du parfum peut parfois être un manque de respect total pour les personnes autour de soi. Tout le monde n'aime pas les mêmes odeurs, et soyons honnête, de nos jours,  tout le monde se lave assez souvent pour que la "douche à la française" ne soit plus une nécessité.  Alors ça ne veut pas dire que vous devez vous procurer une lessive sans parfum ou dénicher un déodorant hors de prix, mais simplement, il ne faut pas trop abuser des produits parfumés. 

   Par rapport à la sécurité en général et à la violence, je dirais qu'au quotidien rien n'a changé. À Chicago comme à Toronto, nous vivons dans un quartier très populaire. À Chicago, un drive-by avait eu lieu dans notre rue, un soir alors que nous étions déjà couchés et nous n'avions rien entendu. Un mec s'était fait descendre devant un Dominos pizza et des balles perdues avait atterri dans les appartements autours de la pizzeria. 
À Toronto, une semaine après notre emménagement, un mec s'est fait poignardé au coin de notre rue (aussi devant une pizzeria...). Et plusieurs drive-by ont eu lieu pendant l'été autour de chez nous. Un drive-by, c'est quand une personne, dans une voiture, vise un mec (ou une femme, mais en général ce sont des hommes) dans une autre voiture et le descend. C'est une affaire de gangs, en général. Les personnes tuées sont ciblées, ce n'est pas n'importe qui. À priori, si on ne fait pas partie d'un gang, il y a en principe peu de chances de se faire descendre, sauf par une balle perdue. 
À Chicago, d'ailleurs, une femme de 65 ans avait reçu une balle perdue dans la tête en plein jour, près de la station de métro que M. fréquentait chaque jour, aussi lors d'un drive-by. Une fusillade avait également eu lieu dans le parc qui longeait la plage que je fréquentais et des jeunes étaient décédés. À Toronto, du moins à ma connaissance, aucun "civil/personne non visée" n'a encore été tué. Même si en réalité la police ne révèle presque jamais l'identité des victimes, donc je ne sais pas... 
Mais je ne me sens pas en danger ! Au quotidien, en pleine journée, il y a beaucoup d'enfants et de vie dans mon quartier. J'entends juste autant parler d'armes à feu au Canada qu'aux États-Unis. Et dans les faits, concrètement, il n'y a pas moins d'homicides au Canada qu'aux États-Unis. 

   Et je vais m'arrêter là car cet article est déjà immensément long. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais peut-être que je le ferai au fur et à mesure que je fais des découvertes. Pour conclure, et c'était prévisible, il y a du bon et du mauvais des deux côtés de la frontière. Certaines choses me manquent, certains aspects de la vie sont plus agréables ici. Mais il y a une chose qui change tout : le Canada nous ouvre grand ses portes. Il y a beaucoup plus d'opportunités ici, qu'elles soient professionnelles ou personnelles, plus de possibilités de s'épanouir et de construire sa vie, avec respect et bienveillance. 

Commentaires

  1. Avant de l'lire l'article et en me mettant à ta place, j'aurais dit l'accès à un système de santé "gratuit" (au moins pas régulé par les assurances) et peut-être une plus grande sécurité/impression de sécurité. Je ne me suis jamais sentie en danger au Canada, je suis plus sur mes gardes aux USA. J'ai l'impression de c'est plus une société "dog eat dog" avec toutes les dérives, ce que je ressens moins au Canada.

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    1. C'est drôle, je ne me suis jamais sentie en danger non plus aux États-Unis. Après, je ne suis jamais allée dans des petites villes au Texas, par exemple... À Chicago, je pensais parfois à la possibilité que telle ou telle personne se balade avec un flingue, mais pas plus que ça. Surtout que le port d'arme est interdit dans toute la ville de Chicago (oui je sais, ça fait sourire). Je dirais que la différence principale, à mon échelle, s'est faite entre la France et l'Amérique du nord. Toutes les petites agressions de rue, les "hep mademoiselle!", les sifflements, etc... ont cessé du jour au lendemain... C'est tellement génial.

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