La lutte quotidienne

   Cette semaine, j'avais un entretien d'embauche. Le poste m'intéresse énormément. Il s'agit d'un pas en avant dans ma carrière, d'une opportunité comme il n'en existe pas tous les jours. Avant chaque entretien, en général, je me renseigne sur l'adresse et sur l'étage. Rapport à ma phobie des ascenseurs. Si c'est trop haut, je ne peux pas. Il y a quelques semaines d'ailleurs, j'avais été contactée par une entreprise située au 58e étage d'une tour du centre-ville. L'entretien téléphonique s'était bien passé, je devais poursuivre avec une série de tests à faire sur mon ordinateur, à la maison. Heureusement, je les ai foirés. Je n'avais clairement pas le niveau (ou l'avais-je, réellement ?) et je n'avais pas les compétences mentales nécessaires pour me rendre chaque jour au 58e étage.

   Quoi qu'il en soit, l'entretien dont je veux parler, celui de cette semaine, se situait au premier étage d'une grande tour. Youhou, saut de joie, le premier étage c'est facile, on peut y accéder à pied, pas besoin de prendre l'ascenseur.

   Hé bien détrompez-vous ! Il n'y avait pas d'escaliers. Du moins ils étaient impraticables. Par le plus grand des hasards, M. était avec moi ce jour-là. Il ne travaillait pas et on avait prévu de visiter St Lawrence market juste après mon entretien. Arrivés au pied de l'immeuble, il m'accompagne à l'intérieur, et à notre grande surprise, nous faisons face à six portes d'ascenseurs, rien d'autre. Une dame est assise derrière deux écrans d'ordinateur dans le hall. « Est-il possible de prendre les escaliers ? » lui ai-je gentiment demandé. Elle me regarde bizarrement, ne comprend pas bien. Qui veut prendre les escaliers, sérieusement ? Elle fronce les sourcils et me répond : « non, c'est seulement pour sortir. »

   OK. Je suis un peu en avance, donc nous resortons. Assise sur un plot devant l'immeuble, M. dépité en face de moi, ne sachant pas trop comment me réconforter, je me dis que ce n'est pas possible. Je n'ai pas de chance. On pourrait se dire, c'est facile, c'est juste un étage, en dix secondes c'est fait. Sauf que si cet entretien réussit, ça veut dire que je devrais faire ça chaque jour. Plusieurs fois par jour, si je veux sortir déjeuner ou autre. Chaque jour. 

   Je pense à abandonner. À téléphoner et prétexter une urgence médicale, quelque chose. Puis mon cerveau entre en fonction, me dit que c'est trop bête sérieusement, c'est un seul étage, il faut que tu apprennes, que tu te débarrasses de cette peur débile. Il y a quelques semaines, j'ai lu un livre qui promettait de me débarrasser de mes peurs panique en 10 jours. Avec l'ascenseur, je devais penser à un souvenir qui provoquait de l'oxytocine dans mon corps pour chaque étape stressante : appuyer sur le bouton, attendre, entendre le ding des portes, etc... Spoiler : ça n'a pas marché.

   Mais quand même, je ne sais pas ce qui m'a poussée, j'ai dit à M. « allez c'est parti », et on est monté dans l'ascenseur. Et puis ça a été facile. C'est toujours plus facile que ce qu'on imagine, de toute façon. Après dix secondes, comme prévu, je suis sortie au premier étage et j'ai laissé M. derrière moi pour passer mon entretien. 

   Mais ce n'est pas fini ! Si ce n'était que ça, ça ne vaudrait pas cet article. Non, à la fin de l'entretien (qui s'est très bien passsé, au passage), je me suis dit que j'allais prendre les escaliers pour sortir, comme la dame de l'accueil m'avait dit. Je trouve la porte, j'hésite, car j'ai peur de faire sonner une alarme, et puis je me dis merde, j'y vais. Ouf, la porte s'ouvre ! Je descends une volée de marches et j'arrive devant une porte qui dit "lobby", très bien, c'est là que je veux aller. Elle est verrouillée. Merde. Et p... de m... comment font les gens pour évacuer en cas d'incendie ?

   Ce n'est toujours pas fini, ce serait trop facile. Je remonte donc au premier étage, tant pis, je vais devoir prendre l'ascenseur pour quitter l'immeuble. Sauf que depuis la cage d'escalier, la porte est verrouillée également. Je ne pouvais que sortir. Je suis donc bloquée dans la cage d'escalier. Sérieusement. Ce n'est pas une blague. Et là, ce que je voulais éviter depuis le début arrive : grosse panique. Heureusement dans ces cas-là le cerveau fonctionne assez vite. M. m'attendait dehors et était monté avec moi, il savait donc où c'était. Je l'appelle et lui dit calemement (haha non, c'est faux, je hurlais) de venir m'ouvrir la porte du premier étage. Après deux minutes (heureusement il n'était pas loin), mon sauveur m'a délivrée. C'était comme sentir le soleil caresser ma joue après une nuit sans étoile. L'ascenseur après m'a paru plutôt accueillant. 

   J'aimerais quand même qu'on s'attarde sur la chance de mon malheur. Imaginons une seconde que M. ne m'ait pas accompagnée ce jour-là... Coincée dans la cage d'escalier, deux solutions s'offraient à moi. D'abord, j'aurais pu rappeler, avec mon portable, la personne qui m'a fait passer l'entretien et lui avouer, lamentablement, que j'étais coincée dans la cage d'escalier et que j'avais besoin d'aide. Adieu job de mes rêves, bonjour honte infinie. Ou alors, j'aurais pu chercher sur Internet le numéro de la dame de l'accueil du lobby, l'appeler et lui demander de m'ouvrir la porte. Honte infinie et suprême, dans tous les cas. Déjà qu'elle m'avait lancé un sourire moqueur quand je cherchais l'escalier pour aller au premier étage, alors si en plus elle avait dû me délivrer de la cage d'escalier... Bon, j'aurais peut-être fait sa journée. Ça doit pas lui arriver tous les jours.

   Mais imaginons un instant, un seul instant mes amis, que le réseau téléphonique ne soit pas passé dans la cage d'escalier... J'aurais dû taper contre la porte, hurler à la cantonnade jusqu'à ce que quelqu'un m'entende (et ça aurait pris du temps car j'étais dans un couloir). Combien de temps serais-je restée coincée dans cette cage d'escalier ? Je préfère ne pas l'imaginer. 

   J'ai un autre entretien la semaine prochaine, au 11e étage. À la fin de l'email d'invitation, la responsable RH m'a demandé si j'avais des « besoins particuliers ». En général, cela sous-entend un handicap physique qui nécessite une adaptation. Mais comme aujourd'hui, de plus en plus de handicaps mentaux sont accommodés, j'avais envie de répondre oui, j'ai un besoin particulier, l'ascenseur est un trigger pour moi et j'aimerais la p... de clé de la p... de cage d'escalier ! Mais je n'ai pas osé. Mais un jour viendra. 

Commentaires

  1. Tu as mentionné plusieurs fois ta claustrophobie, mais je n'avais pas réalisé que c'était un vrai problème au quotidien. (Bon, on ne se connait pas, hein). Tu as toute ma sympathie, parce qu'en plus à Toronto c'est vraiment une ville avec des tours de bureaux. Les édifices sont moins hauts à Ottawa.

    J'aime bien prendre les escaliers. Je n'ai pas (trop) la phobie des ascenseurs, mais je n'ai pas la patience d'attendre... puis peut-être que je l'ai un peu, la phobie. Bref, à Santiago ou au Brésil, où j'ai souvent logé dans les tours, je prenais systématiquement les escaliers pour descendre du 20e ou 30e étages, et je faisais aussi la montée à pied plusieurs fois par jour. Ça se fait bien si les étages (les plafonds) ne sont pas trop hauts.

    Je l'ai fait à Toronto l'année dernière, quand on a logé dans un Airbnb au 50e étage d'un des condos ICE (juste à côté du Rogers Center) : https://correresmidestino.com/toronto-condo-2/

    Cette année, on était dans un Airbnb sur Spadina, une tour. Même aventure que toi, je me suis retrouvée bloquée dans la cage d'escalier, pas possible de remonter ni de descendre. Là, du coup, je deviens claustro... heureusement, on venait de faire le checkin et Feng, ne me voyant pas arriver en bas de la tour, s'est douté que j'étais coincé donc il est remonté et m'a ouvert. Connerie de condo. C'est pas une vie...

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  2. Ah, puis franchement, tu devrais oser en parler. Je pense que l'ascenseur est un problème (à un degré moindre) pour beaucoup de gens. Il y a une solution pratique simple et pas dérangeante pour l'employeur (easy accommodation, right?), ça me paraît tout à fait acceptable.

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    1. Oui, soit tu aimes les challenges, soit tu n'aimes pas trop les ascenseurs non plus... Et puis peut-être un peu les deux ! Monter au 30e étage, peut-être que je le ferais aussi... J'avais lu ton article sur le condo à Toronto, où tu réalisais que les balcons à cet étage n'étaient pas vraiment faits pour prendre tranquillement le soleil ou fumer sa clope, car trop de vent. Ça m'avait un peu marquée, je m'étais dit oui effectivement, c'est assez symbolique, tu paies les mètres carrés dont tu ne profites pas...

      En tous cas pour les ascenseurs tu as raison, je devrais oser demander. Si j'avais sérieusement envisagé de travailler là-bas, je l'aurais fait. Mais finalement j'ai trouvé un travail au premier étage avec escalier, donc tout va bien :-)

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